Alors que le pape Benoît XVI s’est inquiété lors de sa visite au Brésil de la présence grandissante des évangéliques, le clergé brésilien utilise désormais des instruments commerciaux pour “fidéliser” les croyants.

 Au cours de sa tournée brésilienne (du 8 au 13 mai), le pape Benoît XVI a trouvé une Eglise catholique en pleine transformation. Le Vatican se fondait jusque-là sur les statistiques mettant en lumière le déclin du catholicisme dans le pays. Or, aujourd’hui, on assiste à une révolution dans les églises catholiques du pays. Curés et évêques prennent, sans en faire grand étalage, des décisions tout à fait radicales. Car, après avoir compris combien l’Eglise traitait mal ses fidèles et pour changer cette situation, le clergé a décidé de se tourner vers une option bien peu orthodoxe d’un point de vue catholique, mais fort répandue dans l’univers des grandes entreprises : le marketing. Le but est de traiter les fidèles non pas comme de simples dévots, mais avec le statut réservé aux gros consommateurs. Tout comme les banques, les supermarchés ou les compagnies aériennes qui réservent un traitement de choix à leurs clients, le clergé a décidé de “fidéliser” ses ouailles. Cette mutation est l’œuvre d’un militant du mouvement catholique du Renouveau charismatique, le gérant d’entreprises Antônio Kater Filho.
Un prof de marketing au service du clergé
D’origine libanaise, Kater est l’auteur de l’ouvrage O marketing aplicado à Igreja católica [Le marketing appliqué à l’Eglise catholique, non traduit]. Voilà vingt-trois ans qu’il étudie le comportement des religieux et de leurs fidèles. C’est après avoir entendu par hasard le prêche d’un pasteur pentecôtiste que Kater a compris l’efficacité du discours des autres Eglises. “Alors que les pasteurs parlent avec émotion, les curés parlent dans le vide”, affirme-t-il. Il a alors décidé d’arpenter le pays pour enseigner au clergé les techniques du marketing. La stratégie a porté ses fruits. Selon les chiffres officiels, l’Eglise catholique a stabilisé au cours de ces sept dernières années le nombre de ses fidèles, à 73,89 % de la population brésilienne.
Marié, père de cinq enfants, Kater a étudié la théologie et a obtenu sa maîtrise en communication à l’université de São Paulo. Ce professionnel du marketing, qui a été le professeur du père Marcelo Rossi, prêtre-chanteur en vogue dans les milieux populaires, prône un discours efficace. “Malgré toutes ces radios, ces télévisions et tous ces journaux au service de l’Eglise, nous ne savons pas communiquer”, explique-t-il. Dans ses propositions, l’homélie tient une place particulière. “Le clergé parle en ‘théologien’, une langue que personne ne comprend”, rappelle-t-il. Voilà pourquoi il recommande de dire les messes dans un langage simple et direct. Kater explique par exemple à ses élèves que, si Jésus était vivant, il ne dirait pas aux fidèles “le règne de Dieu est semblable à un trésor caché”, mais “le règne de Dieu, c’est comme gagner au loto”. “Il faut ajouter de l’émotion”, assure-t-il.
La foi est compatible avec le confort
Parmi les nouveautés mises en œuvre, le terme de “confession” est remplacé par celui de “retrouvailles”. “La confession, c’est ce que font les gangsters quand ils se font prendre”, dit-il. Pour cet homme studieux, qui a fondé l’Association brésilienne du marketing théologique (ABMC), savoir entendre ce qui afflige le fidèle et la façon dont il lutte contre les tentations du péché est un don. “Les confidences demandent une réaction. Il s’agit d’une étude qualitative. Le bon religieux est celui qui écoute la confession, s’informe et, en bon professionnel, explique comment affronter les difficultés”, poursuit-il. Son idée est de réformer en douceur. Dans cette optique, le denier du culte séculaire, considéré depuis des années comme une aumône, n’a pas été épargné. Dans la version business, cette contribution finit par devenir un investissement financier. “L’Eglise catholique nous appartient à tous, c’est notre maison. Elle n’appartient pas à la paroisse qui l’administre, nous devons nous occuper du temple”, dit-il, ajoutant que “les pères ne parlent pas de cette contribution avec la même pugnacité que nos frères évangéliques”. Parmi les 73,9 % de catholiques, seuls 30 % environ versent une contribution volontaire à leur Eglise. Les pentecôtistes, qui représentent 12,5 % de la population, sont 44 % à verser une contribution.
Dans la croisade de Kater, les bancs en bois sont aussi remplacés par des sièges confortables. “Croire en la souffrance, c’est du passé, assure-t-il. Les gens s’assoient pendant deux heures sur ces bancs inconfortables et repartent le dos en compote.” L’autre intervention porte sur l’accueil des fidèles à l’église. “Toute boutique digne de ce nom offre un parking gratuit, des toilettes, et propose même du café. L’Eglise catholique ne propose rien”, argumente-t-il. Un grand nombre des 120 diocèses conseillés par Kater ont fait leurs ses principes. “La foi n’est pas incompatible avec le confort. L’Eglise catholique a plus de 2 000 ans d’histoire parce qu’elle a le meilleur logo, la croix, la meilleure enseigne, les clochers des églises, et un produit vendeur, le salut.”
 
Alan Rodrigues – Istoé
Paru dans Courrier international hebdo n°863, 16 mai 2007
 
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