Rondon, dans l’Etat du Para. L’équipe du groupe d’intervention mobile du ministère du travail (Grupo especial de fiscalização móvil) s’apprête à partir pour la fazenda Sào José, à environ deux heures de piste de la ville. “Nous ne savons pas trop ce que nous allons trouver, explique Guilherme Moreira, le coordinateur de l’équipe. Nous avons reçu une plainte d’un travailleur agricole il y a trois mois environ, mais nous n’avons pas eu de nouveaux éléments depuis.

” Deux pick-up de la Policia militar, où ont pris place quatre hommes lourdement armés, ouvrent la marche. “Il faut faire vite : il suffit d’un coup de fil, et le flagrant délit tombe à l’eau”, explique Guilherme Moreira. Arrivés à la fazenda, les agents du ministère du Travail demandent au gérant de la ferme de les mener aux baraques où sont logés les travailleurs agricoles. On remonte dans les 4x4.

Spirale infernale

Il faut encore rouler vingt minutes sur un chemin de terre défoncé pour arriver à une petite maison décrépie. Il y aurait 30 travailleurs qui dormiraient dans deux petites chambres de 10 m2 chacune, sur des hamacs. Au fond, le coin-cuisine est noir de crasse. Ce qui a, un jour, fait office de toilettes est inutilisable. Les inspecteurs interrogent les travailleurs sur place. Les regards sont fuyants, les paroles hésitantes. “Tout se passe bien”, explique José Manuel, un travailleur sans âge, à la casquette vissée sur la tête. “J’ai été embauché il y a deux mois. Le salaire est de 400 reals

(150 euros) par mois, et c’est le fermier qui paie les repas.” “Il n’y a pas de travail esclave à proprement parler dans cette fazenda, souffle, un peu nerveux, Guilherme.

 

On ne va pouvoir les épingler que pour ‘conditions dégradantes de travail’. Mais je ne suis pas convaincu : le propriétaire des lieux se présente aux élections, et cela ne m’étonnerait pas qu’il ait fait en sorte de ne pas être pris dans ce genre de scandale.” Car le Brésil a déclaré la guerre au travail esclave, qui touche environ 25 000 personnes dans le pays.

“L’histoire est souvent malheureusement la même, explique Xavier Plassat, de la commission pastorale de la terre d’Araguaina, dans l’Etat des Tocantins. Les paysans pauvres du Nordeste, faute de pouvoir nourrir leur famille, viennent dans ces régions limitrophes de l’Amazonie (Parà, Mato Grosso, Tocantins) chercher du travail. Les fazendas de la région ont de gros besoins de main-d’œuvre, notamment pour déboiser.” Arrivés en ville, ils sont recrutés par un “gato” (chat), homme de main à la solde du fazendero. Ce dernier paie les dettes de l’hôtel, promet un bon salaire et les emmène sur la propriété. Là, les choses se dégradent. On leur prend leur carte de travail, on les force à travailler douze heures par jour. Et on fait en sorte de les endetter : ils doivent payer pour les outils ou la nourriture à des prix fixés par le fermier, et leur salaire ne suffit pas à couvrir les dépenses. Menacés, ils ont rarement l’occasion de s’échapper. Où aller en effet quand la première ville est à deux heures de route ?

Bilan mitigé

Cela fait maintenant treize ans que le gouvernement brésilien tente de lutter contre ce phénomène et, “depuis la mise en place du groupe d’intervention en 1995, plus de 30 000 travailleurs ont été libérés”, explique Marcelo Campos, coordinateur du groupe d’intervention. Un bilan qui doit être relativisé. “Il y a environ une plainte sur deux qui est traitée, explique Xavier Plassat. D’abord, parce qu’il faudrait des moyens énormes pour régler le problème, mais aussi parce que le gouvernement n’a pas une position claire sur la question. L’agriculture est au cœur du développement économique actuel du pays. Et comme ils contribuent directement à cet essor, les grands propriétaires terriens ont un sentiment total d’impunité.” Les scandales éclatent régulièrement dans la région, avec des hommes politiques accusés de déforestation et de recours au travail esclave dans leurs propriétés. “A l’autre bout de la chaîne, la réforme agraire promise par Lula est en panne. Dès lors, comment donner un avenir à des travailleurs agricoles qui n’ont pas de terres ?”, s’insurge Xavier Plassat.

“Lista suja”

Pour autant, les choses avancent doucement : une “liste noire” des fazendas ayant été épinglées est désormais publiée. Les fazendas sont privées de subventions publiques pendant deux ans, et des entreprises, comme Wal-Mart ou Carrefour, se sont engagées à ne plus se fournir auprès d’elles. mais il reste encore des combats à mener. “Nous faisons signer une pétition pour qu’une proposition de loi qui autorise l’expropriation des propriétaires inculpés soit présentée devant le Sénat en novembre, explique Xavier Plassat. Ce n’est pas parce que nous commencons à avoir des résultats qu’il faut relâcher la pression.”

Alexandre Zalewski
http://www.metrofrance.com/x/metro/2008/08/28/ypjHLx5LvPZK2/index.xml

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