L’ancienne ministre de l’Environnement a décidé de faire campagne pour la présidentielle de 2010. Son parcours et sa personnalité en font une rivale sérieuse pour la candidate désignée par le président brésilien.

20.08.2009 | Matheus Leitão, Ricardo Amaral, Marcelo Rocha | Epoca


Une bouffée d’oxygène est entrée dans la campagne électorale de 2010. La nou­veauté se nomme Ma­rina Silva. La sénatrice du Parti des travailleurs (PT) [gauche, au pouvoir] et ancienne ministre de l’Environnement a rallié la petite formation écologiste Parti vert (PV), qui prétend en faire sa candidate à la présidentielle. Même si sa décision n’est confirmée que dans une semaine ou deux et si les primaires n’entérinent le nom des candidats qu’en juin 2010, son irruption dans la campagne bouleverse le jeu électoral, qui semblait jusqu’à présent se limiter au duel entre la candidate du gouvernement, Dilma Rousseff (PT), et le gouverneur de São Paulo, José Serra, leader du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) [conservateur]. “L’utopie doit continuer”, affirme Marina Silva à propos de son avenir. Le vent nouveau qu’elle fait souffler sur le panorama politique a déjà réveillé des vocations, comme celle de l’ancien ministre Ciro Gomes, qui a ressorti son projet de candidature au nom du Parti socialiste brésilien (PSB).

Le Parti vert n’est pas forcément taillé pour soutenir une campagne électorale chère, longue et acharnée, mais tout le monde s’accorde à dire que Marina Silva est une candidate avec un grand potentiel. Elle est née en 1958 dans une famille de onze enfants d’ouvriers très pauvres du Nordeste, et ses parents sont morts d’épuisement dans la plantation d’arbres à caoutchouc où ils étaient exploités, au fin fond de l’Amazonie. Son meilleur atout est d’avoir une vie et une histoire politique semblables à celle du président Lula. Comme lui, elle a été analphabète jusqu’à 16 ans. Elle a été employée domestique, puis seringueira [ouvrière du caoutchouc]. Son parcours de militante s’est construit au sein de mouvements sociaux internationalement reconnus. C’est une candidate qui peut prononcer le mot magique de “rêve” [allusion au discours de Lula lors de sa première élection] sans que cela paraisse artificiel. Cependant, il est un aspect de sa personnalité qui risque d’être moins plébiscité : il s’agit de la radicalité de ses positions, de son intransigeance notamment dans le domaine de la défense de l’environnement. Un combat pour lequel Marina Silva n’hésite pas à s’en prendre vertement aux acteurs du développement économique [des lobbys très puissants au Brésil]. Autre point qui peut la desservir, ce sont ses déclarations en faveur du créationnisme, cette doctrine religieuse réfutée par les scientifiques [car elle remet en cause le darwinisme] pour expliquer l’origine de la vie.

Mais, pour le moment, elle re­donne un peu d’énergie à une bataille politique jusqu’ici tranquille. Le publicitaire Duda Mendoça, qui a été l’artisan de la première victoire électorale du président Lula en 2002, reconnaît l’importance de la candidature de Marina Silva. “Si cette candidature se confirme, elle représentera sans aucun doute une épine dans le pied du gouvernement et peut tout à fait modifier le cadre politique de 2010. En plus d’être une femme connue et respectée, elle a l’aura de ceux qui se sont battus contre la dictature”, précise-t-il. Le sociologue Marcos Coimbra, rappelle que “Lula a lui-même dit que l’heure était venue pour une femme de gouverner le pays”. Evidemment, le chef de l’Etat pensait à Dilma Rousseff [la candidate officielle est atteinte d’un cancer du système lymphatique] en disant cela, mais c’est un argument qu’il ne pourra pas employer contre Marina Silva.

Le premier sondage concernant la candidature de Marina Silva a mis en évidence le fait que son image est complètement dissociée des luttes partisanes et des scandales politiques de corruption qui ont marqué les dernières campagnes. “Elle bénéficie d’une image de sérieux et de moralité qui contraste totalement avec les autres hommes et femmes politiques du pays”, affirme Antonio Lavareda, qui a ­réalisé cette enquête d’opinion. Malgré son récent changement de parti, Marina Silva est une fidèle du PT depuis trente ans. Elle peut sans complexe revendiquer sa part de gloire dans les bons résultats et la popularité dont bénéficie l’actuel gouvernement. “Elle fait littéralement imploser la candidature de Dilma Rousseff”, estime Ciro Gomes. Le gouvernement suit de près les mouvements de l’ancien ministre de l’Environnement. Mi-août, le président Lula devait la rencontrer, mais il y a finalement renoncé après avoir été informé de la décision de Marina Silva d’entrer dans les rangs du Parti vert.

Seul problème : la taille modeste du Parti vert

Les affinités de Marina Silva avec les écologistes ne datent pas d’hier. Dans les années 1980, elle a été un fervent soutien à la cause de Chico Mendes, le leader écologiste porte-parole des ouvriers seringueiros de la forêt amazonienne et assassiné en 1988. Si la candidature de Marina Silva préoccupe le gouvernement, celui-ci cache encore bien ses éventuelles angoisses. “J’aurais préféré que Marina reste aux côtés du PT, mais je respecterai entièrement la décision qu’elle prendra”, explique Dilma Rousseff. Pour leur part, les sénateurs du PT dans leur ensemble ont envoyé une lettre de solidarité à Marina Silva, alors qu’ils n’ont guère pris la défense du président du Sénat, José Sarney, actuellement impliqué dans des affaires de corruption. “Notre histoire commune va continuer”, écrivent-ils dans ce texte, comme s’ils accordaient à leur consœur une espèce de pardon pour avoir quitté le navire au moment où la tempête fait rage. Le gouvernement a de bonnes raisons d’éviter l’affrontement avec Marina Silva, du moins en cette période de précampagne électorale. La candidate est étroitement associée à l’image du gouvernement actuel. Elle a été la première ministre nommée par Lula en 2002. Sa nomination avait même été annoncée à la presse internationale depuis New York, où le président était en déplacement. Ses cinq années passées aux commandes du ministère de l’Environnement ont été émaillées de conflits avec Dilma Rousseff et l’ancien ministre José Dirceu. Sa plus grande bataille a consisté à convaincre le président de restreindre les autorisations en faveur des aliments transgéniques, mais sa proposition de loi a finalement été écartée par le Congrès. Lors de l’appel d’offres portant sur la construction de centrales hydroélectriques sur la rivière Madeira, elle a réussi à imposer un cahier des charges de 32 points en faveur de l’environnement, qui a retardé la mise en œuvre du projet. Mais sa plus grande déconvenue est liée à la décision du président Lula, fin 2008, de confier à l’ancien ministre Roberto Mangabeira Unger la coordination du plan de développement de l’Amazonie [un projet pharaonique et controversé qui ouvre l’Amazonie à l’exploitation]. Quelques semaines plus tard, Marina Silva lui a fait parvenir sa lettre de démission.

Compte tenu de son profil, Marina Silva est en mesure de capter l’électorat du PT. Son principal problème reste la taille plutôt modeste du Parti vert : avec 14 députés, les verts bénéficieront d’à peine deux minutes quotidiennes à la radio et à la télévision lorsque la campagne électorale sera officiellement lancée. En revanche, l’obédience évangélique de la candidate peut être un avantage dans un pays où cet électorat représenterait 15 % des votes. Mais cela peut également donner lieu à des débats sur des sujets polémiques.


Courrier international du 19/08/09


Partido verde

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