Avant de caractériser une musique et une danse du Nordeste, le forró désignait un lieu où l'on dansait, une sorte de bal populaire. Les Anglais qui firent construire des lignes de chemins de fer au Nordeste auraient offert des fêtes aux ouvriers en les conviant et leur disant " for all ", une fête pour tout le monde. Selon une autre version, forró désignait toujours un bal commun à tous, mais serait une abréviation de sa désignation par le peuple de "Forrobodó", mot qui signifie ou dérive du mot fête (farrá, le désordre aussi) en langue bantou (dialecte africain).

Une chose est sûre : la musique est faite par les musiciens parmi lesquels se trouvent un accordéoniste (aussi appelé sanfona, qui serait un accordéon plus simple), un joueur de pandeiro (tambourin), un joueur de triangle (qui donne le rythme de la danse) et un percussionniste qui joue du zabumba (tambour). On trouve aussi des groupes qui remplacent le zabumba par une batterie, souvent dans un esprit commercial et un appauvrissement de la musique. Le forró est aussi une danse de couple, parfois aussi belle et enivrante que la musique, dans les bals forró où les musiciens jouent en public.

Le musicien historique du forró est le pernamboucain Luiz Gonzaga (1912-1989), qui chante son sertão natal, terre de sécheresse d'où il faut s'exiler pour trouver du travail. Il a divulgué le forró dans les années quarante vers le sud, et tout le monde s'accorde pour dire que c'est lui qui en a fait une musique que l'on retrouve dans tous les coins du Brésil.

Luiz Gonzaga, né en 1912 à Exu, Pernambouco. Exu est le dieu du Candomblé représentant le diable, il y a t-il un lien ? Dans le film Saudade do futuro (www.saudadedofuturo.com), des musiciens racontent que les prêtres considéraient que ceux qui participaient au forró n'étaient pas de vrais chrétiens, et que l'on pouvait tuer une fourmilière si l'on recueillait la poussière de la salle où était dansé le forró pour la déverser dessus !
Le père de " Gonzagão ", était un accordéoniste qui animait les bals le week-end, et le fils l'a accompagné très jeune, s'essayant parfois à l'accordéon (sinfona) et au fameux tambour, le zabumba.

A 18 ans, il part pour le Ceará, où il fera son service militaire et participera à la fanfare militaire - aujourd'hui encore Luiz Gonzaga est une des icônes de la région, avec son chapeau de cuir et l'habit de cangaceiro (bandit du Sertão Nordeste). Puis il va à São Paulo avant d'arriver à Rio de Janeiro, où il veut devenir musicien de radio. Etant donné les préjugés ayant cours contre les nordestinos, les thèmes et l'accoutrement de Luis Gonzaga, ça ne sera pas facile. Il lui faut jouer dans bien des bars " de dernière catégorie ", avant qu'il soit " découvert " en 1941, avec la chanson " Vira e Mexe ". La particularité de son forró : il se destine aux nordestinos qui ont émigré, lui qui chante sur un mode poétique la tristesse de la vie et aussi les beautés de la région la plus pauvre du Brésil, le Sertão. Aujourd'hui ces thèmes ont un peu disparu au profit de textes plus joyeux, voire plus chauds (et il y a aussi le forró commercial, variété).

A côté de Luiz Gonzaga, on n'oubliera pas Dominguinhos, et surtout pas Jackson do Pandeiro, qui intégrera un autre rythme nordestino, le côco, au forró de Gonzagão, pour en faire une mixture à la fois festive et drôle. Une chose est sûre, " Eu quero ver a confusão " chante Jackson do Pandeiro dans Chiclete com Banana.

Aujourd'hui, le forró jouit d'un regain sans précédent. Dans le film Saudade do Futuro, on voit des couples dans des bals ou gargotes populaires, mais les jeunes aussi on redécouvert la musique, et pas que ceux qui ont des origines nordestines… Après avoir été considéré comme un peu subversif durant les années de dictature, les brésiliens qui allaient sur le littoral sont revenus dans leur région avec l'envie de continuer à danser. Certains ont découvert qu'on pouvait danser en couple sur une belle musique, après des années de rock et de musique électronique… La musique touche toutes les classes et on trouve des bals forró populaires comme casas de forró très chics (not " for all ! "). Bien sûr le forró est un prétexte. Bien des gens disent que le forró est une mode au Brésil - à part dans des Etats comme le Ceará où il est indétrônable, mais là aussi il y a beaucoup de forró commercial, y compris dans le Nordeste.. On trouve cependant des fous de la danse qui ne vivent que pour ça, impossible de penser qu'ils échangeront leur baril de forró pour autre chose. Il y a il est vrai aussi un autre public qui dansera le forró parce que c'est à la mode, ou pour s'encanailler, et qui se mettra à danser au moindre accord de forró commercial… Ces gens là pourront effectivement changer d'habitudes dans quelques années.

Hugues Lefevre

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