Un institut de recherche vient de publier le premier relevé de toutes les voies illégales en forêt amazonienne. Plus étendues que le réseau routier officiel, elles contribuent à la déforestation.
De Santarém
Un groupe de chercheurs brésiliens vient d’établir la première carte routière d’un réseau fantôme qui ne figure dans aucun document officiel du pays. Il s’agit du relevé de toutes les routes percées illégalement en Amazonie. Réalisée par l’IMAZON (institut chargé de l’environnement en Amazonie), l’un des principaux centres de recherche de la région, l’étude révèle un réseau routier deux fois plus important que celui des voies officiellement autorisées. Ces routes pirates sont construites sur des terrains publics. Elles ouvrent la voie à la destruction de la forêt et à l’appropriation illégale de richesses naturelles, et avant tout le bois. Elles pénètrent déjà dans certaines réserves écologiques ou indigènes qui semblaient isolées au cœur de la forêt. L’une d’elles est la Terre indigène Baú, dans la commune d’Altamira, dans le Pará. Ces dix dernières années, des exploitants clandestins de bois ont percé un réseau de voies à l’intérieur de la réserve, principalement pour en extraire du mogno (acajou d’Amérique). Le réseau de routes a tellement transformé la région que la justice a décidé, en 2003, de réduire ces terres indigènes de 17%. A Altamira également, la réserve écologique de la Terra do Meio (dans le Pará) est coupée par des routes percées par des spéculateurs. Ceux-ci posent ensuite des panneaux avec des noms de fazendas (grandes fermes) fictives qui seront ensuite vendues.
Déforestation et occupation des terres sont rentables
Les routes sont en général un facteur de développement des régions, surtout au Brésil, où 56% des transports sont assurés par camion. Elles apportent également l’énergie électrique aux villes, relient les centres financiers, permettent d’accéder aux écoles, aux hôpitaux. En Amazonie, elles sont plutôt dévastatrices. “Personne ne perce une route au milieu de la forêt pour y contempler la nature”, affirme Carlos Souza, un géographe de l’IMAZON qui a coordonné cette étude. Tout commence par une scierie. Celle-ci perce un tronçon à partir d’une route existante, et, avec des bulldozers, réussit à progresser de 10 kilomètres par mois dans la forêt. Elle en retire des arbres de grande valeur commerciale durant un ou deux ans. Une fois la route percée, c’est au tour du grileiro (propriétaire terrien possédant de faux actes de propriété) de passer à l’action. Il s’approprie la terre autour de l’embranchement, la répartit en lots et établit des actes de propriété. Il en vend ensuite à un agriculteur, qui exploite les richesses du sol pendant deux ou trois récoltes, et arecours aux brûlis. Puis il se rend dans une autre zone plus récemment percée, et vend la terre épuisée à un éleveur. Le lot, auparavant couvert de forêt, finit par devenir un pâturage.
En Amazonie, la déforestation et l’occupation de terres publiques sont donc rentables. Et le risque d’encourir une sanction est minime. Les autorités peuvent, lorsqu’elles sont informées de ces déboisements, poursuivre les coupables. Mais les recours judiciaires permettent de repousser le paiement de l’amende pendant quatre ans. Et, pendant ce temps, le déboisement se poursuit. Les bénéfices compensent le risque d’une condamnation. L’amende finit parfois par être payée – dans 12 % des cas – mais l’éleveur et son bétail sont rarement chassés du lot. “Cela fait huit ans que je suis ici, et je n’ai encore jamais vu quiconque restituer des terres occupées illégalement”, affirme Daniel Cohenca, contrôleur de l’IBAMA (agence chargée de l’environnement) à Santarém.
Les conséquences sont tragiques. Les litiges sur les terres envahies alimentent la violence dans la région. La carte de l’état de la violence dans les municipalités brésiliennes, publiée récemment, indique que cinq des dix villes les plus violentes du pays sont situées en Amazonie. La première du classement est Colniza, dans le Mato Grosso, avec 165 morts pour 100 000 habitants. La Commission pastorale de la terre estime que, au cours de ces trente dernières années, au moins 2 000 personnes ont péri dans des conflits fonciers portant sur des terres avoisinant les routes d’Amazonie. Les routes clandestines ont également entraîné la destruction de la forêt. Près de 80% de la déforestation se produit dans un rayon de 5 kilomètres à partir de ces embranchements, comme l’indique l’étude de l’IMAZON. La destruction de la forêt n’améliore pas la vie de la population, attirée par la percée des routes. Si l’on en croit l’Institut brésilien de géographie et statistique (IBGE), 70% des 16 millions d’habitants de la zone forestière vivent dans une misère quasi absolue.
Ces personnes savent rarement qu’elles entretiennent un système illégal, et cela pour deux raisons. Tout d’abord parce que la clandestinité est la règle dans la région ; ensuite parce qu’il existe une zone d’ombre entre ce qui est officiel et ce qui est illégal. Les dix premiers kilomètres de l’embranchement 101 de la BR163 ont l’électricité, bien qu’ils ne figurent officiellement sur aucune carte. Les habitants ont même construit une école. Et les pouvoirs publics y ont nommé des professeurs. La mairie de Santarém veille à ce qu’une partie de la voie soit praticable pendant l’année. Le propriétaire d’un minibus parcourt tous les jours le réseau sur 50 kilomètres afin de conduire la population vers les villes les plus proches. Il fait un aller-retour par jour, bien utile à ceux qui doivent souvent envisager la traversée à pied. Certaines routes sont même devenues “privées”. Sur les routes clandestines les plus récentes, encore peu occupées, les fazendeiros [les propriétaires terriens] ont installé des postes et perçoivent un péage. Ceux qui veulent passer doivent se présenter et payer une taxe pour avancer dans la forêt.
La carte de ce réseau parallèle de routes constitue un document précieux. Les organes de contrôle peuvent ainsi les situer pour la première fois. “Ils ont donc l’adresse du grileiro, de l’exploitant forestier et de l’agriculteur clandestin”, affirme Souza. Il suffit maintenant de voir si les autorités utiliseront convenablement ces données. Comment arrêter cette destruction ? La progression des routes montre également à quel point il est improductif de tenter simplement de protéger l’Amazonie, comme s’il s’agissait d’un territoire vierge. Jusqu’à présent, pour l’aménagement du territoire, le gouvernement s’est surtout attaché à la création d’aires écologiques protégées. Mais elles ne prennent pas en compte la population déjà sur place, qui perce les routes. La loi sur les concessions forestières, qui a été promulguée en 2006, représenterait peut-être une solution. Elle permet aux entreprises de bois de bénéficier de concessions pour exploiter de façon durable les forêts publiques. “Le gouvernement a fini par comprendre que la seule façon de sauvegarder la forêt était de créer une économie légale”, affirme Paulo Adário, coordonnateur de Greenpeace en Amazonie. Il ne reste plus qu’à créer les premières concessions. Voilà qui serait peut-être une véritable avancée.
Luciana Vicária
O Estado de São Paulo
Paru dans Courrier international, hebdo n°854 - 15 mars 2007
173 023 km
L’étude a recensé à l’aide d’images satellites un réseau de 173 023 kilomètres de routes clandestines, semblables à des fissures dans le sol. Il s’agit d’un périphérique d’embranchements illicites sur tout le pourtour de la forêt, sans compter les ramifications de routes illégales qui surgissent de la Transamazonienne et de la BR 163 Cuiabá-Santarém. L’étude révèle également que les Etats du Mato Grosso, du Pará et du Rondônia concentrent 90 % de toutes les voies illégales de l’Amazonie. L’invasion est rapide, les chercheurs estiment que ce réseau illégal gagne 1 890 kilomètres par an.
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