Laboratoire de la gauche depuis 1989, la ville est administrée depuis peu par l’opposition. Malgré les critiques, son modèle de gestion fonctionne et fait des émules.
 
La ville de Porto Alegre est célèbre dans le monde entier pour son expérience de budget participatif. Si elle a été choisie il y a quatre ans parmi toutes les villes du monde comme premier siège du Forum social mondial, c’est parce que sa mairie, tenue par le Parti des travailleurs (PT) depuis 1989, a eu l’heureuse idée de laisser ses habitants gérer le budget de la ville. Ce sont eux qui décident quelles rues doivent être goudronnées en priorité et où doivent s’ouvrir des centres de santé. Leur parole est souveraine quant à la manière et au moment où l’argent doit être dépensé. Quand le PT a pris le pouvoir, en 1989, la ville comptait à peine 29 écoles. Elle en possède aujourd’hui 92. Cent quatre centres de santé – contre 12 en 1989 – y ont ouvert leurs portes. Et l’entreprise qui gère les transports en commun vient de recevoir le prix du meilleur transport public du pays.
Seize ans ont passé, la mairie est désormais entre les mains de l’opposition, mais rien n’a changé dans la façon d’administrer la ville. Aujourd’hui, tous les quartiers sans exception recyclent leurs ordures ménagères et l’eau potable est distribuée dans chaque foyer. Pourtant, quelques critiques ont fusé pendant la campagne pour l’élection municipale de 2004. Elles révèlent notamment que seuls 18 000 habitants – soit moins de 5 % de la population sur un total de 1,5 million de personnes – assistent aux assemblées au cours desquelles les investissements locaux sont planifiés.
Pour Felipe de Angelies, conseiller en communication du PT, cette désaffection est due à une trop grande bureaucratisation du processus. “Il y a trop de réunions, affirme-t-il. Après leur journée de travail, les gens sont trop fatigués pour s’y rendre. Beaucoup d’entre eux pensaient par ailleurs qu’on n’écoutait que les sympathisants du PT. En outre, les membres de la classe moyenne ne viennent pas parce qu’on s’occupe toujours davantage des demandes des plus pauvres. Le budget participatif a beaucoup apporté, mais il faut maintenant changer quelques-unes de ses modalités.”
Au moins une réunion par mois est organisée dans chacun des arrondissements de la ville. Tous ceux qui le souhaitent peuvent y participer. Les présents choisissent deux délégués, qui les représentent lors des assemblées auxquelles se rendent les délégués de tous les arrondissements. “En réalité”, explique Sergio Baiezle, membre de l’ONG Cidade et auteur de plusieurs études sur le sujet, “le budget est en retard de deux ans parce que le PT s’est lancé dans un chantier routier qui a fortement handicapé sa capacité d’investissement. Les espaces de participation se sont multipliés au cours des dernières années, un débat en entraînant un autre, puis un autre encore… Mais l’argent, lui, s’est fait plus rare.” En ce qui concerne la participation, “il y a toujours eu un effort pour faire venir davantage de gens aux réunions, mais ce n’est pas facile, poursuit-il. Chaque année, 50 % des participants abandonnent et ne reviennent pas l’année suivante. Je ne sais pas si c’est parce qu’ils ont eu ce qu’ils voulaient ou parce qu’ils croient qu’ils ne vont pas l’obtenir. Mais on peut positiver en pensant que cela signifie aussi que chaque année il y a de nouveaux participants.”
Comme tous ceux que nous avons interrogés, Baiezle constate que la classe moyenne ne vient pas aux réunions budgétaires. Or, à Porto Alegre, la classe moyenne représente la majorité de la population, contre environ 30 % pour les classes inférieures. “Lors des premières réunions, relate-t-il, les plus défavorisés restaient silencieux. Les assemblées se tenaient à l’hôtel de ville, devant le maire, dans une salle avec des chaises très hautes, et les gens étaient intimidés. Puis nous avons changé d’endroit et aujourd’hui tout le monde s’exprime, haut et fort s’il le faut. Les deux représentants de chaque arrondissement doivent rendre des comptes à leurs communautés.”
A Porto Alegre, tout le monde critique le budget participatif pour une raison ou une autre. Mais tous assurent aussi qu’il s’agit d’une grande invention et qu’il faut continuer à la perfectionner. “Le but n’est pas seulement de décider et de voter un budget”, précise Vanessa Marx, une habitante de Porto Alegre, qui a pris part à plusieurs conférences sur le sujet en Europe, “mais de créer une culture politique, de faire comprendre aux gens ce qu’est un budget et qu’ils le discutent.”
Selon Sergio Baiezle, “l’idéal serait d’atteindre un taux de participation de 20 %, mais pour cela il faudrait que la part du budget national attribuée aux mairies soit plus importante”.
En tout cas, l’invention fonctionne. Aujourd’hui, 140 villes brésiliennes, gouvernées en majorité par le PT mais aussi par des formations politiques du centre et de la droite, ont choisi de demander leur avis aux habitants pour administrer une partie de leur budget.

Francisco Peregil
El País

Article paru dans Courrier international, n°766, juillet 2005

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