Le territoire de Raposa-Serra do Sol, dans l’extrême nord du pays, appartient officiellement aux communautés indiennes depuis 2005. Mais les gros riziculteurs qui l’occupent illégalement refusent de décamper.

La tension est montée d’un cran ces derniers jours sur le territoire de Raposa-Serra do Sol [situé dans l’Etat du Roraima, dans le nord du pays], officiellement déclaré territoire indien en 2005. La police fédérale (PF) a en effet lancé fin mars une série d’opérations destinées à déloger les derniers occupants illégaux de ce territoire : de petits propriétaires terriens, quelques commerçants et un groupe de grands producteurs de riz très influents. Certains d’entre eux ont décidé de résister à la police, en menant des actions allant de manifestations dans la capitale de l’Etat, Boa Vista, à des actes de sabotage afin d’empêcher l’accès aux fazendas [propriétés].

Le territoire de Raposa s’étend sur 1,7 million d’hectares, partagés entre d’immenses plaines et des chaînes de montagnes, à la frontière avec le Venezuela. Près de 20 000 Amérindiens y vivent. La majorité appartiennent à l’ethnie macuchi, mais on trouve également des Wapichanas, des Ingaricós et des Taurepangs.

Mais, depuis que le président Luiz Inácio Lula da Silva a restitué par décret ces terres aux Amérindiens, en 2005, les producteurs ruraux, des habitants non indiens et même une partie de la population indienne réclament, sans succès, le démembrement de petites parties de la réserve. L’affaire a pris une dimension internationale. Des organismes des Nations unies et de l’Organisation des Etats américains (OEA) ont exhorté le gouvernement à libérer les terres au profit des Indiens.

Dans la nuit du 26 au 27 mars, un avion de la PF a donc atterri à Boa Vista avec à son bord quarante agents venant des Etats d’Amazonas, d’Acre et de Rondônia. D’autres renforts sont attendus. Les petits propriétaires et les commerçants ne devraient pas opposer de résistance. Ils seront indemnisés et réinstallés dans des locaux de l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (INCRA).

Mais la réaction des gros riziculteurs est tout autre. Paulo César Quartiero, porte-parole officieux du groupe, affiche toujours un ton belliqueux dans ses interventions publiques. Début mars, des centaines de chefs indiens – les tuxawas – s’étaient réunis en assemblée dans la communauté du Surumu, à 9 kilomètres d’une de ses fazendas, sur le territoire de Raposa. Craignant que la réunion ne soit un prétexte pour envahir ses rizières, il a recruté, comme il le raconte lui-même, un groupe d’anciens policiers militaires comme agents de sécurité. Il a également bloqué les deux entrées de sa fazenda en érigeant des barricades avec des pierres, des sacs de sable et des barbelés au cas où les Indiens décideraient de le faire expulser. “J’ai même miné une partie du terrain”, déclare-t-il. Il affirme être le nationaliste dans cette guerre où le gouvernement joue selon lui le rôle d’“agent de l’ennemi”. “Ce sont les ONG internationales, au service de pays étrangers, qui sont derrière la création de terres indiennes et qui manipulent les Indiens”, répète-t-il.

“Nous savons mourir, mais nous savons aussi tuer”

L’affrontement avec les chefs indiens n’a pas eu lieu. Mais les barricades sont toujours là. Dans l’attente des Indiens ou de la police fédérale. Les Indiens ont eux aussi adopté un ton belliqueux. “Nous avons déjà subi trois ans d’humi¬liation et de mépris sur notre propre territoire. Nous en avons marre d’attendre et, si le gouvernement n’agit pas maintenant, nous allons lutter. Nous savons mourir, mais nous savons aussi tuer”, nous confie le tuxawa Dionito José de Souza. A 39 ans, ce père de neuf enfants et grand-père d’une petite-fille est le coordinateur général du Conseil indien de Roraima. Il juge qu’il est temps pour les Indiens d’assumer le contrôle total de la région. “Quand j’étais petit et que j’allais à l’école des Blancs, on me punissait à chaque fois que je parlais ma langue, le macuchi. On me frappait douze fois avec la férule sur chaque main et ensuite je devais rester agenouillé les bras en croix. Aujourd’hui, tout ça, c’est fini. Les Indiens veulent se réapproprier leur culture, prendre leur destin en main. Nous ne pouvons pas le faire s’il y a des étrangers chez nous.”

La riziculture s’est implantée dans la région dans les années 1970 et représente aujourd’hui un des secteurs clés de l’économie de l’Etat du Roraima. Les riziculteurs commencent à planter du soja. Mais ils ne possèdent pas de titres de propriété – et n’ont pas droit à une indemnisation, sauf si leurs réalisations ont entraîné un “aménagement positif”.

Roldão Arruda - O Estado de São Paulo

Paru dans Courrier international, hebdo n° 910 - 10 avril 2008

 

 

 

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